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Le mythe d'Aristophane résumé par Luc Brisson

L'antique nature humaine comprenait trois genres : le mâle, l'androgyne et le femelle. Chacun de ces êtres humains, qui présentaient la forme d'un œuf, était double. Il avait quatre mains, quatre pieds, deux visages placés à l'opposé l'un de l'autre, et surtout deux sexes sur ce qui actuellement constitue la partie postérieure de l'être humain. Dans le cas du mâle, ces deux sexes étaient masculins ; dans celui de la femelle, ils étaient féminins ; et dans celui de l'androgyne, l'un était masculin et l'autre féminin. Par ailleurs, l'aspect circulaire de ces êtres indiquait leur origine : le mâle était un rejeton du soleil ; la femelle de la terre ; et l'androgyne de la lune, laquelle se trouve dans une position intermédiaire entre le soleil, par rapport auquel elle est une espèce de terre, et la terre, par rapport à laquelle elle est une espèce de soleil.

À l'instar des Géants Éphialte et Otos, qui voulurent escalader le ciel pour s'en prendre aux dieux, ces êtres humains se révoltent contre les dieux. Aussi, pour les châtier sans les exterminer, Zeus décide-t-il de les couper par moitié. Cela fait, Zeus en appelle à Apollon pour qu'il soigne la blessure ainsi ouverte, et dont le nombril constitue actuellement l'ultime cicatrice. Ce châtiment, cependant, mène le genre humain tout droit à sa perte. En effet, chaque moitié tente de retrouver sa moitié complémentaire avec une telle ardeur et une telle constance qu'elle se laisse mourir d'inanition. Voilà pourquoi Zeus intervient de nouveau, en transportant le sexe de chacune des moitiés obtenues sur leur partie antérieure. Cette nouvelle opération rend possible une union sexuelle intermittente qui, tout en permettant à chaque être humain de retrouver sa moitié complémentaire, lui laissera le temps de vaquer à d'autres soins et notamment à ceux, absolument essentiels, que constituent la nutrition et la reproduction.

Une bonne distance est ainsi établie entre les moitiés complémentaires de l'être humain, qui ne sont plus ni conjointes ni disjointes de façon permanente, car leur réunion intermittente rend supportable une séparation effective pour le reste du temps. Or, comme on peut le constater en lisant le discours d'Aristophane, cette « bonne distance anthropologique » est indissociable d'une « bonne distance cosmologique » entre le ciel et la terre et d'une « bonne distance théologique » entre les dieux et les hommes. De ce fait, Éros apparaît comme le seul dieu capable de permettre aux hommes de reconstituer provisoirement leur antique unité ; là précisément réside sa puissance qui s'étend aussi à ces couples d'opposés que constituent le ciel et la terre, les dieux et les hommes. Et comme ces retrouvailles ne peuvent se réaliser chez l'homme que dans l'union sexuelle, Aristophane est amené à dresser une typologie complète de la vie sexuelle de l'être humain, où trouvent leur place non seulement l'« hétérosexualité », mais aussi l'« homosexualité » aussi bien masculine que féminine.

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