#la peur

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Je vis comme une bête, une bête qui a faim, puis qui est fatiguée. Jamais je ne me suis senti si abruti, si vide de pensée, et je comprends que l’accablement physique, qui ne laisse pas aux êtres le temps de réfléchir, qui les réduit à ne plus éprouver que des besoins élémentaires, soit un sûr moyen de domination. Je comprends que les esclaves se soumettent si aisément, car il ne leur reste plus de forces disponibles pour la révolte, ni l’imagination pour la concevoir, ni l’énergie pour la concerter. Je comprends cette sagesse des oppresseurs, qui retirent à ceux qu’ils exploitent l’usage de leur cerveau, en les courbant sous des tâches qui épuisent. Je me sens parfois au bord de cet envoûtement que donnent la lassitude et la monotonie, au bord de cette passivité animale qui accepte tout, au bord de la soumission qui est la destruction de l’individu.

Gabriel Chevallier,La peur, 1930.

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